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JEAN-CHARLES TAILLANDIER  / CHAIR DU PAPIER / GRAVURES SUR BOIS



Claude Jacquard (1686-1736) - Le Temple de l’Hymen
Gravure à l'eau-forte et burin, 38x50 cm (Bibliothèque Municipale de Nancy, avec son autorisation)

"Chair du papier" est une suite de gravures sur bois grand format datées de 2008, imprimées à exemplaire unique sur papiers japon marouflés, et réalisées sur prétexte d'une gravure de Claude Jacquard (1686-1736) conservée à la Bibliothèque Municipale de Nancy. La palette d'inspiration puise dans les nombreux portraits en pied qui composent la base horizontale de l'image. Claude Jacquard, dont très peu d'œuvres gravées nous sont connues (*), a gravé cette pièce le Temple de l’hymen en 1736, l'année de sa mort; œuvre de commande, sans doute, en l'honneur du mariage du duc François III avec l’archiduchesse Marie-Thérèse d’Autriche. 
Le bas de l’image est étonnant. Il décrit un foisonnement de personnages savamment mis en scène, représentation vraisemblable du peuple de Nancy dans tout sa diversité d’alors (nobles, cavaliers, mendiants, femmes portant linge ou victuailles, ecclésiastiques, enfants, etc…) et qui contraste avec le motif allégorique du décor. Par-delà le décalage temporel et stylistique, j’ai été intrigué par le souci méticuleux qu’a pris Jacquard à graver les figurants de l’avant-scène comme si ce thème le motivait plus que l’ornementation architecturale de l’arrière-plan.

Ce fourmillement de personnages (à peine 4 cm de hauteur) a nourri mon imaginaire, avec cette question : quel sens ma propre subjectivité peut-elle donner à une portion d’image gravée à Nancy par Jacquard en 1736 ? Comment  peut-elle aujourd’hui se réapproprier cette narration ? Sans les outils de l’historien que je ne suis pas,  ce travail plastique renoue avec le territoire de l’intime pour me fondre dans un univers poétique et plastique éloigné de l’Histoire… Oublier l’apparence et le décor pour privilégier l’acte pur du dessin…
Le langage de la gravure sur bois, qui donne une aisance à la main sur de grands formats, m'a semblé le plus approprié à la traduction d'une épuration des formes.

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     présentation
       sommaire (*) D'autres commentaires sur Chair de papier sont consultables sur les articles de mon blog  Variations sur une porteuse de linge et 

le Temple de l'Hymen.
Je remercie tout internaute qui pourrait me renseigner sur Claude Jacquard et son oeuvre de graveur et de peintre.

à propos de Chair de papier : Retour à Vérités du portrait
                  
        par Raymond Oillet, philosophe (retrouvez ses chroniques sur son blog marianus.blog.lemonde.fr)

      J’étais présent il y a quelques jours au vernissage de la nouvelle exposition des travaux de Jean-Charles Taillandier à Pont-à-Mousson et je me sens poussé aujourd’hui à confier mes impressions, un propos qui va rejoindre celui que j’avais déjà consigné dans ma note du 20.12.2007 - Entre vérité d'histoire et pure vérité - un texte que Jean-Charles Taillandier a aussi choisi d’appeler : ”Archéologie imaginaire“. Le travail que je décrivais étant parvenu maintenant à un plus haut degré de perfection et d’aboutissement, j’en parlerai d’abord en citant (et en adaptant) mon texte antérieur :

Jean-Charles Taillandier est peintre graveur, ce qui signifie qu’il associe ces deux styles d’expression par diverses techniques sans cesse réinventées et transformées par lui, pour la même mise en oeuvre, la même création, ici fort complexe, dans le but évident d’induire une perception aux antipodes de celle que répètent nos habitudes et nos paresses… (C’est une) vraie leçon de peinture et de gravure, une leçon d’ontologie de l’art. (En voici) quelques unes des étapes, en fait les multiples tâtonnements… de la traque, par une dissection d’image, de l’anatomie d’une forme naissante, de son développement puis de son incarnation en enchevêtrements de traits, dessins, couleurs… 
(Partant d’un extrait de l’oeuvre originale - à Pont-à-Mousson, une gravure de Jacquard célébrant le mariage du duc François III avec l’archiduchesse et future impératrice Marie-Thérèse) il façonne sa propre finition, celle qui sourd peu à peu de lui-même grâce aux multiples confrontations de ces formes embryonnaires. (C’est ainsi qu’il avance) vers l’achèvement inédit d’une nouvelle image poétique, d’une nouvelle visibilité habitée d’une nouvelle lumière, métamorphoses, je le répète, qui se sont produites d’abord dans son imagination active, qui se sont orientées par la suite vers une autre présentation…

La chair du papier

      La nouvelle exposition a pour nom : La chair du papier, et on se demande quels traits communs peuvent bien réunir ces Portraits des Lumières joints à des oeuvres inédites. Le titre de l’exposition en donne la clef, rapprochant la chair… du papier ! Cette chair n’est pas seulement une illusion due au choix des couleurs, des textures associées, d’un dessin ou d’un encrage qui évoqueraient la vie, une certaine douceur ou une présence plus sensible d’humanité, je veux dire plus que dans les gravures ou les tableaux anciens dont s’inspire Jean-Charles Taillandier. Ce serait peut-être ce marouflage évoqué - c’était même une question posée à l’artiste - dans le discours officiel prononcé à cette inauguration. Le marouflage est une technique de collage, initialement de matériaux disparates, ici de couches de papier très fines qui ainsi assemblées et superposées, donnent l’impression d’une chair, de peau, un relief à peine sensible qui crée une impression de profondeur, et ces couleurs discrètes, délicatement parsemées, qui nous installent entre vie et rêve, vie rêvée et rêve de vie, induisant l’émotion particulière d’être initié à une valeur de vérité en même temps qu’à une dimension inconnue de réalité. 

       Cette émotion intensifie l’expérience du réel, ou plutôt elle nous éloigne de la banalité des expériences ressassées du réel sensible que nous croyons si bien connaître (et reproduire !), nous y abandonnant souvent par négligence, plus souvent encore avec la conviction de s’y adapter. Or le réel est bien plus. J’ai choisi de me répéter de cette façon parce que j’ai le sentiment que Jean-Charles Taillandier est parvenu, en créant ces nouvelles images, à faire avancer son art. Ce faisant, et par tant d’originalité, il fait aussi avancer l’art en ces temps de décrépitude d’un art qui n’ose même plus se définir comme tel. Il donne à l’art cet éclat particulier qui nous augmente nous-mêmes, chacun, grâce à l’émotion esthétique qu’il fait naître, le sentiment de se relier à cette vie infinie qui bat au fond de nous, en deçà de cet inconscient mêlé de confusions et d’ignorances, en une nuit matricielle - je l’ai aussi appelée l’antécédent absolu de tout ce qui existe - qui n’est pas à confondre avec un néant.


Pour un bouleversement du sens

     Mais ne parlons pas philosophie ou esthétique. Il y a ici un vrai procédé, qui s’apparente à une composition au sens musical : extraits de détails de la gravure, à leur tour fragmentés, devenus leitmotivs, et de là, développement contrapuntique qui transpose, transforme le leitmotiv et propose un remodelage complet de la figure dans une perspective intentionnelle de présentation toute différente.

      D’une gravure représentant une scène très convenue, allégorie de commande, quasiment de propagande - mais Jacquard en avait aussi profité pour s’appliquer à nous montrer des hommes et des femmes authentiques - d’une image comme illustration d’histoire passée, un signe nous est adressé, qui pousse à la sortie de toute histoire, vers une intemporalité. Isolé, le détail est devenu transhistorique, impersonnel, mais attention, je veux dire qu’il ne re-présente plus personne en particulier, mais une évocation d’humanité néanmoins (encore) si précise qu’elle nous renvoie à nous-mêmes et à notre visée perceptive, à notre intériorité. Encore une fois, grâce au liage d’éléments hétérogènes - association de techniques mixtes mais surtout dissociation des combinaisons habituelles de l’imagerie - Jean-Charles Taillandier réalise un ‘accord’. Et je pourrais faire aussi allusion aux saveurs qu’on ‘accorde’ en gastronomie mais ici nous le voyons d’abord : tout est bouleversé, grandeur, couleur, orientation, devers ou envers, renversement (comme le cheval de l’affiche !) au point que l’image ainsi mise en pièces n’est plus reconnaissable, son contexte originel oublié, et que le dessin, malgré tant de détails également conservés, est devenu abstraction.

        L’émotion esthétique est née, j’y reviens, de la réception de cette expérience inédite, unique, impliquant à la fois la sincérité de l’artiste et celle de notre regard, dans ce champ visuel peut-être à son tour décomposable ou récapitulable mais à cet instant, fécond d’une autre rencontre avec le réel. La réalité, ce que nous éprouvons réel, est une ‘imagination dans une imagination’, c’est folie de le répéter en ces temps, mais nous en avons bien là démonstration.


Des images qui ne peuvent plus vieillir

     On peut dire plus simple, sans crier au ‘fantastique’, en nous limitant au concept de l’invention, au sens psychologique classique, de la fabrication d’une forme neuve à partir de matériaux anciens, mais dans ce cas toutefois, en constatant ce dépassement spécifique à la création par mise en oeuvre d’une imagination. 

      Nous ne sommes ni en dessin, ni en gravure, ni en peinture : la gravure est le support ferme du travail présenté; accentuée souvent de traits plus épais, noircissants, recouverte de ces pellicules de papier diversement (et légèrement) colorées, parcourues de traces d’encre, de pointillés, traversées d’écorchures, gonflées des effets soigneusement appliqués du marouflage. Cela donne des êtres qui n’apparaissent plus pour raconter une histoire mais pour nous confier des secrets plus mystérieusement humains, plus universels, à la fois plus poétiques et plus touchants. Une petite fille seule et à côté, un nuage, ici rouge, là, noir ; ce cavalier rouge qui s’éloigne environné de poussières ; ce prêtre, cette lavandière, ce mendiant qui sont finalement là pour nous parler de nous-mêmes… autant d’images qui ne peuvent plus vieillir parce qu’elles échappent aux conditions tout en prenant figure, si l’on y tient encore, dans une histoire indéfiniment renouvelable. 

    Ce renouvellement des formes vaut création d’image au sens le plus noble, art pur suivant une définition que j’ai souvent répétée, une ‘présentation’, suivant aussi le mot célèbre de Klee : capable de “rendre visible”. Cela n’arrive pas à partir de rien, bien au contraire ici, et c’est la contradiction entre figuration et abstraction qui se trouve entièrement surmontée.

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